Compagnie Jérôme Thomas / Cirque Lili
« 4 », qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec…

« 4 », qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec…

Dans un jardin public imaginaire, un jeu d’enfants virtuoses irrespectueux de leur propre virtuosité, chorégraphié avec une grande précision et une grande liberté… Une suite d’instants ludiques, magiques, suspendus qui se trament et se défont. Une orgie de balles, petites planètes blanches parfois autonomes qui dessinent dans l’espace et dans la musique, un univers à la beauté contradictoire, de fantaisie et de rigueur. Toutes les combinaisons possibles entre des balles réelles et virtuelles, et quatre hommes qui se connaissent par cœur et encore mieux, forment avec les particularités de leur art, le quartet le plus hallucinant qu’on puisse rêver. “Un magnifique rêve réel”.

Je prendrai deux cas précis de mon expérience artistique :

Le premier, le solo du saxophoniste Roscoe Mitchell, que j’ai pu admirer et écouter au concert de Art Ensemble of Chicago, au festival de Rives de Gier en 1996 ; la deuxième, la séquence de la balle qui rebondit toute seule, sur la caisse en bois, du spectacle Hic-Hoc.

Ces deux exemples pourraient être tous deux particulièrement révélateurs, afin d’expliquer une idée théâtrale, pouvant d’une manière ou d’une autre -et du moins, je l’espère, surprenante- conduire à un approfondissement du jeu dramatique, dont découlera la nouvelle création de la Compagnie Jérôme Thomas : « 4 ».

Une balle qui rebondit toute seule sur une scène est une réalité bien concrète. Cette réalité amène le spectateur au rêve imaginaire ; ce rêve est truqué, certes, car il fait partie de notre monde conscient. Mais dans le monde inconscient, cette balle truquée va peu à peu apparaître comme un magnifique rêve réel. C’est le va et vient entre mondes conscients et inconscients qui permet au spectateur et à l’acteur de passer de l’un à l’autre, donnant lieu à l’existence du théâtre.

Le théâtre se situe dans cette ambiguïté, à cette frontière, trouvant ainsi son action dans le monde du subconscient.

Quand j’ai entendu et vu sur scène le saxophoniste, Roscoe Mitchell de Art Ensemble Of Chicago, lors d’une improvisation de 40 minutes, pratiquement en souffle continu, je me suis trouvé pareillement confronté à cette situation : ce musicien m’apparaissait bien en chair et en os comme une réalité. Mais cette réalité me conduisait tout droit au rêve, truqué là encore (si on peut parler de truc), par sa faculté immense de ne plus montrer le travail, ou par sa capacité à « l’absence » même de travail. C’est peut-être là, d’ailleurs, que se situe l’œuvre d’art vivant. Pourtant, cette réflexion me faisait écho à un monde conscient.

En considérant cette absence de travail, dans le monde de l’inconscient, cela nous conduit avec le temps de l’improvisation, à un rêve réel bien plus grand qu’on ne pouvait l’imaginer, celui de voir l’homme comme un rêve, tout simplement.

Ainsi, avec l’ensemble de ces paramètres, la création va s’articuler autour de cette réflexion. Rêve et réalité autour d’un objet, rêve et réalité autour d’un acteur. Ces deux combinaisons, sans ignorer la donnée de monde conscient et inconscient, peuvent aussi dessiner un schéma, dont chacune des directions est orientée vers le rêve.

Nous obtenons ainsi un carré. « The Square », le carré prend alors tout un sens, le carré concrétisé par quatre directions et quatre acteurs font le chiffre « 4 » qui devient un symbole, symbole de création qui nous unit pour la réalisation de l’œuvre. Le quatre est le symbole des points cardinaux. « Quatre » est le chiffre qui caractérise l’univers dans sa totalité.

Lors de ma rencontre avec un professeur de jonglage à l’École du Cirque de Moscou, j’ai appris que le carré, était pour l’enseignement du jonglage, la base de compréhension de l’espace pour concrétiser la formation des jongleurs. Le concept de cubisme en jonglage, inventé en France, est l’extension du carré russe en un monde de cube.

Le chiffre quatre a de tout temps inspiré les hommes et nombreux en sont les symboles. Les civilisations en ont des croyances religieuses et philosophiques, comme la Bible qui suggère l’idée d’universalité, ou d’autres exemples comme les quatre murailles de Jérusalem faisant face au Quatre Orients, et la symbolique des animaux dans la tradition juive. Le chiffre quatre selon Alexander (Alec, 204) joue un rôle déterminant dans la pensée philosophique des indiens d’Amérique du Nord, il est un principe d’organisation et d’une certaine façon une force.

L’espace se divise en quatre parties, le temps se mesure en quatre unités : le jour, la nuit, la lune et l’année. Les espèces animales sont au nombre de quatre, les quatre êtres célestes sont le ciel, les étoiles, la lune et le soleil. La vie humaine se divise en quatre collines : l’enfance, la jeunesse, la maturité et la vieillesse ; et pour finir, la notion des quatre vertus chez l’homme qui sont : le courage, l’endurance, la générosité et la fidélité.

« 4 » ou « Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec… » est la concrétisation d’un travail de fidélité que nous avons commencé avec Phia Ménard, Emmanuel Anglaret, Martin Schwietzke et moi-même, l’aboutissement pour avoir enfin saisi les contours délicats d’un monde, de mon propre monde, et du monde de chacun, sans en connaître encore sa profondeur, mais son enveloppe. Ce quatre est le symbole d’un monde enfin découvert après 20 ans de pratique, à travers l’art et la vie.
« L’artiste est non seulement explorateur de la vie, mais aussi créateur de valeurs spirituelles et de cette beauté que seule la poésie peut faire naître » (Andréi Tarkovski)
Un puzzle enfin complètement regroupé avec de nombreuses pièces ; nous quatre allons œuvrer à l’intérieur, découvrir, redécouvrir, sonder, explorer et révéler.

Ces quelques pièces prises au hasard de nos découvertes, trouvées dans l’instant d’une création et mise en lumière, seront fixées et données aux spectateurs.

Jérôme Thomas, le 23 novembre 1997

L’ensemble des instants créé dans une vie d’artiste est à la recherche ! La recherche en art n’existe pas ! Un enfant qui naît n’est pas une recherche, mais une création naturelle et vivante !

Une création d’amour.

Jérôme Thomas, le 24 août 1997

+ Le jonglage, 20 ans que ça dure (1997) par Jérôme Thomas

Conception, direction artistique Jérôme Thomas
Acteurs / Créateurs Emmanuel Anglaret, Phia Ménard, Jérôme Thomas, Martin Schwietzke
Accessoiriste / manipulateur Jean-Christophe Chapon
Assistant à la mise en scène Vincent Lorimy
Création musique Xavier Garcia
Création et régie lumière Bernard Revel
Création et régie son Ivan Roussel
Régie plateau Yvan Vallat
Régie lumière Stéphane Fraissines ou Bernard Revel
Création costumes Emmanuelle Grobet
Création décor Julien Malardenti

Co-productions : LARC, Scène Nationale du Creusot / Le Théâtre, Scène Nationale de Mâcon / Théâtre 71, Scène Nationale de Malakoff / La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle et la Compagnie Jérôme Thomas.

Avec le soutien de la DRAC Bourgogne / Ministère de la Culture / Conseil Régional de Bourgogne / ADAMI

A venir…